Anne-Cécile DAGAEFF - Docteure en Écologie, biodiversité et évolution
Docteure en Écologie, biodiversité et évolution
Thèse soutenue en 2015
Université Toulouse III - Paul Sabatier
École doctorale SEVAB / Laboratoire EDB
Anne-Cécile, qui es-tu ?
Je viens de Besançon dans l’est de la France. Après un passage par Dijon et Paris (où j’étais à l’école d’ingénieur AgroParisTech), un crochet par les Etats-Unis et la Suisse, je suis arrivée à Toulouse pour ma thèse et c’est là que je vis actuellement.
Pour mes passions c’est difficile, j’aime beaucoup de choses, j’adore la médiation scientifique (j’ai réussi à en faire mon métier mais je continue aussi sur mon temps libre), je suis aussi un vrai rat de musées (surtout les Muséums d’Histoire Naturelle et les Jardins Botaniques, dès que je visite une nouvelle ville, je passe par son Muséum). J’adore aussi danser et particulièrement les danses en groupe : danses anciennes, danse country, celtique, line dance… /
Parle-nous de ta thèse !
J’ai travaillé dans le sexe durant quatre ans. Ok c’est un peu provoquant de dire ça, mais pas totalement faux : j’ai travaillé sur les préférences sexuelles des drosophiles et j’ai même inventé un peep-show pour mouches ! Pour vous expliquer le contexte : chez les animaux (humains compris), il existe un comportement qui s’appelle « l’imitation du choix du partenaire ».
Quand une femelle (car ça a surtout été étudié chez les femelles), n’arrive pas à décider avec quel mâle s’accoupler car tous les deux ont l’air d’être de bons prétendants, elle va avoir tendance à copier le choix d’autres femelles. Mais pourquoi ne pas s’accoupler au hasard ? Parce que choisir le meilleur mâle possible permettra de donner les meilleures chances de survie à ses descendants.
Ce comportement avait été étudié chez les cailles, les poissons, les humains et les drosophiles (les mouches des fruits). Mon sujet de thèse était initialement sur les drosophiles et les poissons, mais pour des raisons budgétaires je suis restée uniquement sur les drosophiles. J’ai donc passé mes journées dans un sous-sol à trier des mouches (oui parce que, quand vous faites des expériences avec des drosophiles, vous passez en fait 60% de votre temps à gérer l’élevage et à séparer les mâles des femelles pour vos expériences) et à les regarder s’accoupler.
On ne dirait pas comme ça, mais ces petites bestioles sont fascinantes. Allez voir des vidéos sur internet, vous verrez que Monsieur Drosophile a tout un rituel pour séduire Madame, et si celle-ci n’est pas conquise, elle le repoussera à coup de pieds et le fera courir. Et là vous vous demandez sûrement : mais où est le lien avec le peep-show ?
C’est très simple, pour voir si mes jeunes femelles vierges et naïves copiaient le choix de leurs consœurs, je leur montrais une autre femelle s’accoupler avec un mâle coloré en rose par exemple et repousser un mâle vert, puis je les faisais choisir entre un mâle rose ou un mâle vert. Je n’ai pas inventé ce protocole, il existait déjà et demandait 6h de démonstrations pour enfin arriver à voir si la femelle copiait ou non. Comme j’aime bien être efficace, j’ai cherché à optimiser ce protocole et de 6h on est passé à 30 minutes (gain de temps considérable). Ensuite, mon directeur voulait absolument montrer que ce comportement était transmissible entre différentes générations, il fallait donc encore optimiser et pouvoir faire apprendre à des légions de drosophiles en même temps (c’est mon côté ingénieur qui ressort : trouver des solutions à des problèmes et optimiser au maximum les processus existants). C’est là que le peep-show est né. J’ai proposé des formes en ligne, puis en cercle et mon directeur a tranché sur un hexagone. J’ai donc travaillé pendant plusieurs mois avec un technicien d’un laboratoire de physique pour créer un premier prototype. Entre le choix des matériaux, les tailles des compartiments, les jeux de 1 mm qui faisaient que les mouches passaient d’un compartiment à l’autre, ce ne fut pas une mince affaire…. Mais au bout du compte, on a réussi à créer le peep-show adéquat.
Ce dispositif expérimental m’a permis de montrer (et c’est ma partie préférée de ma thèse) que les mouches non seulement copiaient le choix de leurs congénères mais qu’en plus elles suivaient les tendances de la majorité, et ça je ne m’y attendais pas. Elles sont aussi sensibles aux variations de la pression atmosphérique et choisissent moins bien quand l’orage approche. Si les hirondelles prédisent les orages, c’est bien à cause des insectes.
Quelle est ta profession actuelle ?
Je travaille actuellement au Muséum de Toulouse, sur un poste fait sur-mesure. Comme je l’ai dit, j’aimais bien faire de la recherche, créer une expérience et la tester, c’était super, mais ma vraie passion c’est de faire découvrir des nouvelles choses aux gens. Dix jours après avoir commencé ma thèse, je recevais des classes sur une exposition pour la Novela.
Les gens de mon bureau faisaient partie de Plume !, une association de médiation scientifique et j’ai immédiatement demandé à en faire partie. Quand Plume ! a arrêté ses activités face publique, j’ai créé mon association, Honua, avec deux autres doctorantes de mon labo. Durant ma thèse, j’ai jonglé avec mes recherches et mes interventions en tant que médiatrice scientifique. Après la thèse, je voulais faire de la médiation mon métier, et j’ai trouvé deux CDD dans des Jardins Botaniques, à Lyon et à Bordeaux. J’ai passé un concours de la Fonction Publique Territoriale, et j’ai eu la chance d’être recrutée par le Muséum de Toulouse, qui était l’endroit où je rêvais d’aller.
Au Muséum, je suis chargée de médiation et de valorisation de la Recherche. C’est-à-dire que je partage mon temps entre des activités de médiation (activités avec des groupes scolaires, visites guidées, création de nouvelles animations) et la mise en place d’événements ou activités permettant de faire rencontrer chercheurs et grand public. En ce moment je prépare la Nuit des Chercheurs et la Fête de la Science. Il y a beaucoup de travail et nous avons parfois des périodes très chargées mais c’est passionnant. Je n’y suis pas depuis très longtemps, mais travailler au Muséum c’est encore mieux que ce que je pouvais imaginer !
Quelles sont les compétences techniques et les compétences humaines (on parle aussi de soft skills) que tu peux clairement lier, avec le recul, à ton expérience de doctorat ?
Le doctorat m’a surtout permis de mettre en pratique et d’améliorer les compétences acquises lors de ma formation d’ingénieur. J’ai aussi appris à gérer une équipe : j’ai eu beaucoup de stagiaires lors de mon doctorat et jusqu’à 5 en même temps. J’ai donc appris à diviser le travail, m’adapter aux besoins de chacun, être à l’écoute et les suivre tout en leur laissant de l’autonomie. Cela m’a aidé quand j’ai dû par la suite gérer une équipe sur des projets ou accueillir des services civiques ou des stagiaires.
Pour mon travail, le doctorat m’a permis de savoir rapidement chercher les informations à la source, dans les articles scientifiques et d’avoir un esprit critique sur les protocoles et les résultats.
Ça fait quoi d'être Docteure, au quotidien ? Est-ce que ça t'a ouvert des portes ?
Être docteure me donne du crédit dans mon travail. Cela me permet aussi d’avoir une meilleure compréhension et plus de connaissances sur certains sujets, ce qui est très important en médiation car on ne vulgarise bien que ce que l’on comprend bien.
Après, avoir un doctorat m’a ouvert et fermé des portes. C’est surtout au moment de trouver mon premier emploi en médiation que ça a été difficile : mon CV a plusieurs fois été rejeté car je n’avais pas le parcours classique et j’étais « trop diplômée ». J’ai du aussi batailler dans plusieurs entretiens pour valoriser mon doctorat : on m’a sorti que j’aurai dû « arrêter ma thèse pour faire de la médiation » ou que j’étais « sur-qualifiée mais qu’en fait je ne savais rien faire » … Mais une fois que j’ai eu une première expérience à plein temps dans la médiation, avoir un doctorat a été un plus. Il fallait franchir le cap. Sur mon poste actuel, c’est ma double casquette « médiatrice mais qui vient du monde de la recherche », mon expérience de recherche et mon réseau qui a fait la différence et m’a permis d’avoir le poste.
Quels souvenirs gardes-tu de ton doctorat ? Les moments forts, les moments durs, la soutenance...
Comme on dirait en anglais « bittersweet » , c’est ce qui correspond le mieux.
J’ai eu des moments très difficiles durant ma thèse où je me suis vraiment sentie très seule. Surtout au démarrage quand il a fallu que je trouve un endroit où faire mes expériences, monter l’élevage, quand les premières expériences ne marchaient pas, qu’il fallait sans cesse recommencer pour des résultats plus que médiocres et que mes directeurs de thèse s’impatientaient… Puis à la fin quand je me suis fait déposséder de mon travail et que le mérite et les découvertes ont été attribuées à d’autres personnes, tout ça parce que je n’avançais pas assez vite dans l’écriture des articles (ce qui est compliqué quand on le fait uniquement sur son temps libre car on a un autre travail à côté).
Mais j’ai eu la chance de tomber sur des collègues géniaux, eux aussi un peu abandonnés, et on s’est soutenus. On a eu de nombreux fous rires et de supers moments, alors même que rien ne marchait dans nos doctorats. Avec le recul, je suis aussi très contente d’avoir monté ma pièce expérimentale toute seule et d’avoir découvert de nouveaux dispositifs expérimentaux et de nouveaux comportements chez la drosophile, même si cela a été attribué ensuite à quelqu’un d’autre.
Je garde également un excellent souvenir d’un colloque à Paris, auquel j’ai eu la chance de participer grâce à l’insistance de mon co-directeur de thèse (car mon directeur était contre). J’ai eu vraiment le trac quand il a fallu présenter mon travail devant tout un amphi, mais au final ma conférence a été très appréciée (et j’ai eu le prix de la meilleure présentation), mais surtout j’ai eu des félicitations d’un chercheur canadien que j’admirais beaucoup, et ça, c’était vraiment génial !
Et pour la soutenance, c’était très drôle : au moment de commencer l’alarme incendie s’est déclenchée. J’ai d’abord cru à une blague, quelles étaient les chance que cela arrive ? Mais bon on est tous sortis et on a repris une demi-heure plus tard. Autant vous dire que ça m’a pas mal déconcentrée. Après, tout s’est bien passé, les gens qui sont là sont tous bienveillants. Et le moment où on vous dit « Félicitations, vous êtes docteur » est juste savoureux !
De mon doctorat je garde aussi des contacts avec des chercheurs supers avec qui j’ai ou j’aurai le plaisir de faire des animations (je ne sais pas s’ils me liront, mais un grand merci à eux !)
Que souhaiterais-tu dire aux autres Docteurs du réseau de l'Université de Toulouse ainsi qu'aux doctorants actuels ?
A ceux qui sont en doctorat : accrochez-vous ! On passe quasi tous par des période difficiles voire très difficiles et j’ai des amis qui ont arrêté leur thèse. Si vous pouvez tenir, continuez, car on est vraiment content d’être allé au bout et même si vous changez de voie par la suite, vous serez fiers d’avoir eu ce diplôme.
Faire de la vulgarisation n’a pas forcément bonne presse dans les labos et c’est bien dommage. Je prêche un peu pour ma paroisse, mais je vous encourage à en faire, ça permet de sortir un peu la tête du guidon et de prendre du recul par rapport à ce qu’on fait. Il existe plein de manière et de formats différents, vous trouverez certainement celui qui vous convient.
Question bonus : qu'attendrais-tu d'un réseau alumni docteurs ?
Je fais partie du réseau des anciens de mon Ecole d’ingénieurs et je trouve ça vraiment sympa : nous nous retrouvons pour faire des sorties et découvrir de nouvelles choses, il y a aussi beaucoup d’entraide pour aider les gens au chômage à trouver du travail. Je pense que si on pouvait avoir ça entre docteurs ça pourrait être bien : ce n’est pas toujours facile d’agrandir son réseau, si on veut changer de voie on est parfois perdus…Et faire des sorties permet aussi de retrouver des anciens amis, de découvrir les parcours des gens etc.
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